Menno au Québec

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Cover of a book

D’abord félicitations pour ce livre ! La publication de Menno au Québec est un projet de longue haleine !

Pourriez-vous nous dire deux mots sur votre arrière-plan ? Fils d’un pasteur ontarien de l’Église unie du Canada, vous avez-vous-même travaillé comme pasteur ordonné de l’Église unie dans une paroisse conjointement anglicane et unie dans le nord du Québec. Vous avez également suivi une formation au Séminaire biblique anabaptiste mennonite et avez été membre de l’Église mennonite de l’Est du Canada (Mennonite Church Canada) et êtes actuellement membre de l’Église des Frères mennonites. Dans l’ensemble, vous m’avez dit que vous vous sentiez plus à l’aise à célébrer le culte en français. Vos travaux de recherches ont porté principalement sur les protestants de langue française du Québec. Pouvez-vous évoquer la manière dont votre parcours de vie vous a amené à la rédaction de ce livre ?

Je sais, je ressemble un peu à une sauterelle, sautillant dans tous les sens. Cela ressemble peu à l’image qu’on se fait d’un homme d’Église fidèle! Plus sérieusement, le Québec m’a toujours attiré. J’y ai vécu la majeure partie de ma vie maintenant. J’ai rencontré Robert Witmer, ancien missionnaire mennonite en France, lorsqu’il est venu à Rouyn-Noranda, où je servais comme pasteur dans un ministère conjoint de l’Église unie du Canada et du diocèse anglican du nord du Québec. Il a fondé une église mennonite de langue française dans notre local. Nous parlions souvent et lorsque je le lui demandais comme il agirait dans diverses situations, j’aimais ses réponses. Je suis parti étudier à l’Associated Mennonite Biblical Seminaries (AMBS) pour voir si je pouvais trouver ma place chez les mennonites, et là les valeurs et la mission anabaptistes m’ont séduit. Lorsque nous sommes revenus au Canada, ma femme Margaret et moi, avec nos quatre jeunes enfants, nous nous sommes installés à Montréal et avons fréquenté une assemblée de l’Église mennonite de l’Est du Canada, l’Église mennonite de Montréal. Pendant un certain temps, j’étais président des mennonites au Québec. Par la suite, je me suis associé à une assemblée d’affiliation à la fois mennonite et frères mennonites, une implantation d’église, puis finalement j’ai rejoint les frères mennonites.

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An older man and woman sit facing each other in front of a shelves of books
Richard Lougheed durant son entretien avec Lucille Marr. Photo courtoisie de la SHMQ.

Pourquoi cet attrait pour les églises francophones ? Même si j’étais un enfant de prédicateur, je n’avais pas la foi. Je fréquentais l’Université Laval lorsque je suis arrivé à la foi, et mes premières lectures de la Bible, mes premières prières, etc. étaient en français, de sorte que j’ai toujours eu une affection particulière pour cette langue. Lorsque je cherchais un sujet pour ma thèse de doctorat en histoire de l’Église, je me suis rendu compte que les protestants français au Québec constituaient un domaine fascinant et peu étudié, et c’est ainsi que je me suis retrouvé là.

Pourquoi vous êtes-vous concentré sur la mission française au Québec plutôt que sur une histoire plus générale des mennonites au Québec. Et pourquoi avez-vous choisi de vous concentrer sur la mission ?

Je suis historien de l’Église. J’ai commencé par l’histoire des mennonites, puis des frères mennonites. Je me suis impliqué dans deux implantations d’églises, toutes deux fermées, et j’ai côtoyé toutes sortes de personnes engagées dans la mission puisque j’ai enseigné dans un établissement évangélique. J’ai constaté qu’il y avait eu beaucoup de tentatives de mission infructueuses au Québec, alors quand j’ai étudié l’histoire, la mission m’a attirée et particulièrement la mission auprès des francophones, qui est très différente de la mission auprès des anglophones, même au Québec. Étudier l’histoire des mennonites au Québec était une évidence, mais mon intérêt pour la mission au Québec est venu de ma propre expérience, et du besoin de trouver des réponses pour moi-même. Je ne suis pas missiologue, comme je le dis dans mon livre, mais l’histoire nous enseigne certaines choses au sujet de la mission. Elle ne donne pas des solutions toute faites, mais je pense qu’elle enseigne certaines choses. Elle nous apprend probablement plus à propos des problèmes que des solutions!

Et pourquoi avoir choisi quatre groupes : Frères mennonites, mennonites, Frères en Christ et mennonites de l’Église de Dieu en Christ mennonite, au lieu de vous concentrer sur un seul ?

Tout a commencé grâce à ma participation au programme du MCC, Service au Soleil. Comme j’étais un historien de l’Église et que je m’impliquais à l’Église mennonite de Montréal, on m’a conseillé de m’orienter sur l’histoire, alors j’ai commencé par mener des recherches sur l’histoire des mennonites et les débuts de la mission. J’ai fait l’entrevue de pionniers de l’Église mennonite de Montréal. C’était un projet vidéo, visant le cinquantième anniversaire des mennonites au Québec. Puis il y eut une conférence célébrant le 150e anniversaire des frères mennonites à travers le monde. J’ai effectué un travail préliminaire sur le Québec et rédigé un article à partir de ce travail.

Entre-temps, la Société d’histoire mennonite du Québec (SHMQ) a recruté Zacharie Leclair pour mener des entrevues en prévision du 50e anniversaire des frères mennonites au Québec. Ce sont en fait les deux cinquantièmes anniversaires des mennonites et des Frères mennonites au Québec qui ont suscité la recherche. C’était l’idée de la société historique de retracer l’histoire de ces deux mouvements. Toutefois, il y en avait aussi deux autres : les Frères en Christ, que je connaissais bien, mais aussi une que je ne connaissais pas, l’Église de Dieu en Christ mennonite. Le pasteur de cette église a accepté de nous fournir des renseignements. Un groupe composé de mennonites et de frères mennonites est allé lui rendre visite afin d’en savoir plus sur ce groupe si différent des autres. La comparaison s’est avérée fructueuse : chacun des quatre groupes met en évidence des aspects de l’identité anabaptiste, mais aucun ne reflète tous les aspects. Chacun révèle des distinctions intéressantes et positives, mais aussi des faiblesses en ce qui concerne la mission, puis plus généralement en rapport avec les valeurs anabaptistes. Il n’y a que quatre groupes de mennonites au Québec et tous se réclament du mouvement anabaptiste.

La comparaison que vous faites avec la France m’intrigue également. Qu’est-ce qui vous a poussé à inclure la France dans votre livre ? Comment cette comparaison entre le Québec et la France renforce-t-elle la discussion ?

C’est une question qu’un des critiques a soulevée. Pourquoi ne pas les comparer avec les baptistes et les pentecôtistes du Québec plutôt qu’avec la France ? Ce serait intéressant à certains égards, mais au fond, cela tient en partie à Robert Witmer, qui était très impliqué dans la communauté en France. Les mennonites en France sont également liés à L’ETEQ.

En ce qui concerne le français, l’essentiel de nos documents théologiques et éthiques en français vient de la France. Les anabaptistes au Québec sont donc influencés par ceux en France. Deuxièmement, cela fait un moment que je suis convaincu que, d’une certaine manière, le mouvement pour la croissance de l’Église se révèle être au cœur des difficultés avec la mission au Québec. Les baptistes et les pentecôtistes adhèrent tous deux aux idées de croissance de l’Église, alors que les mennonites en France refusent d’y adhérer. J’ai acquis la conviction que le Québec ressemble plus à l’Europe qu’au reste de l’Amérique du Nord. Le contexte de la postchrétienté est ce qui domine particulièrement en Europe occidentale et au Québec. La France a beaucoup à enseigner au Québec, sur le plan de la mission.

Cela m’a amené à organiser un colloque sur le sujet, puis dans un deuxième temps, ce livre. Les mennonites de France critiquent de manière subtile, mais manifeste, le mouvement pour la croissance des Églises et suggèrent de remplacer cette approche par une mission anabaptiste qui met l’accent sur la formation de disciples. Les Frères mennonites ont fait ce pas récemment. Lorsque j’ai commencé le livre, je dirais que l’approche de la croissance des églises dominait chez les Frères mennonites. Lorsque je l’ai terminé, ils l’avaient rejetée. Je me suis rendu compte que les missionnaires nord-américains envoyés en France savaient qu’ils se rendaient dans une autre culture ; ils étaient mieux formés en français et, par rapport à ceux qui étaient destinés à se rendre au Québec, on exigeait davantage d’eux. En débarquant au Québec, ils avaient affaire à des personnes non seulement sans arrière-plan anabaptiste, mais aussi issu d’un contexte postchrétien. En France, ils ont appris le contexte dominant et ils ne s’attendaient pas à ce que les gens acceptent facilement l’Évangile, alors qu’au Québec, c’était très différent en raison du contexte nord-américain. Le mouvement de croissance de l’Église suppose que si vous évoquez le besoin de sauver votre âme, les gens y répondront. En France, je pense qu’ils ont rapidement compris que les gens n’y seraient pas réceptifs ; ils ont dû s’y prendre différemment. J’ai aussi observé Stuart Murray en Angleterre ; il a fait face au post-christianisme depuis plus longtemps et n’a pas subi les mêmes influences américaines du mouvement de croissance de l’église que nous avons subies au Québec.

Votre livre est sorti en anglais, mais il sortira bientôt aussi en français. Pourquoi ce choix de deux langues ? Les deux versions sont-elles identiques, ou les lecteurs qui ont accès aux deux versions apprendront-ils des choses différentes ?

Je l’ai écrit en anglais, mais la société historique ici au Québec souhaitait qu’il soit rédigé dans les deux langues. Les deux versions atteignent des publics différents. Elles ne sont pas identiques, mais elles le sont presque. J’ai terminé le texte de la version anglaise plus tôt et il a été moins révisé. Dans la version française, j’ai pu réorganiser certaines parties, ajouter quelques éléments, notamment des images, y compris des images en couleur qui ne figurent pas dans l’édition anglaise. Ma version préférée est celle en français.

Selon vous, qui est votre public principal ? Qui espérez-vous voir lire Les descendants de Menno ?

Ma première pensée a été qu’il devait y avoir quelque chose en anglais pour les personnes vivant à l’extérieur du Québec. Il n’y a pas grand-chose en anglais sur le Québec. Je l’écris aussi pour les stratèges de la mission. Je veux essayer de changer la mentalité de ceux qui planifient la mission au Québec. Je veux honorer à la fois toutes les personnes et leurs descendants qui ont été impliqués et ces personnes font certainement partie du lectorat ainsi que les gens qui s’intéressent simplement au Québec, de manière générale. Il y a aussi des gens qui sont en relation avec des missionnaires au Québec. J’ai parlé à certaines de ces personnes. Les quatre groupes peuvent utiliser ce livre, mais ce sera peut-être moins utile pour les Frères en Christ, car je ne me consacre pas tellement à eux. Toutefois, cela reste important pour l’histoire des trois autres groupes. Au Québec, de nombreuses personnes ont été impliquées dans chacune de ces églises, mais ne le sont plus. J’aimerais aussi leur donner une place, peut-être même leur rappeler de bons souvenirs de leur engagement. Je rencontre des gens qui me disent : « Je pense que je suis appelé à être missionnaire au Québec ». J’aimerais qu’ils lisent ce livre avant de venir pour comprendre que cela est un peu plus difficile qu’on ne le pense. Il y a des choses à prendre en compte pour s’y préparer. Il s’agit d’une culture très différente.

Vous avez choisi un titre frappant. Qu’est-ce qu’il signifie pour vous ?

Le titre anglais (Menno’s Descendants in Quebec) est différent de celui en français (tout simplement Menno au Québec). Je ne mentionne Menno Simons qu’une seule fois dans le texte. Le terme anabaptiste apparaît souvent, plus que mennonite, puisqu’il incorpore les quatre groupes. Mais les premiers anabaptistes remontent tous à Menno, c’est-à-dire aux premiers anabaptistes, mais ils adoptent chacun des aspects différents de Menno ou des premiers anabaptistes. Sur le plan de la généalogie, ce sont nos ancêtres, dans mon cas et dans le cas des Québécois, ils n’ont pas d’ancêtres mennonites ; c’est une ascendance théologique, ils n’ont pas de parents ou de grands-parents anabaptistes, mais ils sont les descendants théologiques de Menno. Selon le groupe auquel vous appartenez, vous ne verrez peut-être pas de traces de Menno dans les autres groupes, mais tous remontent à lui.

Vous avez écrit ce livre alors que vous travailliez à l’École de Théologie Évangélique du Québec et avec le soutien du MCC et de la Société d’histoire mennonite du Québec. Comment ces institutions ont-elles soutenu votre travail ?

Le MCC a eu un impact considérable sur tous ces aspects. J’ai participé à Service au Soleil avec les mennonites par le biais du MCC ; la SHMQ est financée par le MCC ; le MCC a financé le la production du livre via la maison d’édition Pandora. Le MCC a joué un rôle très important tout au long du processus. Travailler à l’ETEQ m’a donné du temps ; en tant que bibliothécaire, j’ai beaucoup de temps et d’excellentes ressources sur les frères mennonites. Le Centre d’étude anabaptiste de Montréal qui commandite les livres mennonites au Québec était originalement subventionné par le MCC. De plus, mes collègues de la SHMQ sont deux historiens titulaires d’un doctorat, et l’un deux travaille pour le MCC.

En tant qu’historiens, nous croyons que l’histoire est importante, que si nous ne connaissons pas le chemin parcouru, il nous est impossible de savoir où nous allons. Comment pensez-vous que votre livre soutiendra et fera progresser la mission mennonite au Québec ?

Je voulais préserver l’histoire qui peut se perdre ; les documents et les personnes. Il est important de préserver les souvenirs. Aucune des églises ne dispose de ressources nécessaires pour écrire sa propre histoire. C’était donc un moyen de préserver les différentes histoires. Puis, mon espoir est qu’à l’avenir, les pasteurs et les stratèges de mission seront mieux renseignés sur le contexte dans lequel ils travaillent. Zacharie Leclair a même suggéré que ce livre devrait être un ouvrage obligatoire pour les nouveaux pasteurs des frères mennonites au Québec! Je n’ai pas de solutions, mais je repère certaines questions et certains faux pas commis par le passé, ainsi que des zones de danger. J’espère que ces repérages seront utiles.

Un autre aspect est que la plupart des personnes de langue française ne savent rien, ou très peu, à propos des anabaptistes. Le livre permet donc aux gens dans les églises d’apprendre à connaître ce mouvement. J’ai aussi pensé qu’il était important de mettre en avant les missions franco-protestantes qui se trouvaient dans la même région que celle où les mennonites et les frères mennonites ont commencé, cent ans auparavant. J’ai pensé que c’était important de montrer que ces missions antérieures étaient confrontées à certains des mêmes obstacles. Bien que la plupart aient disparu, certaines ont persévéré.

Bref, notre histoire peut nous apprendre que l’église n’a pas commencé hier et qu'on voit déjà se dessiner un avenir. Par exemple, j’ai intégré dans mon livre des éléments plus récents comme l'apport des immigrants et l'expérience de la pandémie de coronavirus. Certainement, comme toujours, l'église devra s'ajuster tout en demeurant ancrée dans ses convictions profondes, et ça commence par une bonne connaissance du passé!

 

Pour réserver une copie du livre (35$), contactez directement Richard en écrivant à richard.lougheed@eteq.ca.