À travers le conflit, la vie continue

Récits de visites chez des partenaires en Ukraine occidentale

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A building in western Ukraine

L’obscurité est tombée en un clin d’œil. Un instant, on projetait un vidéoclip sur le mur de la petite église, et les enfants chantaient en cœur. L’instant d’après, plus de courant. La pièce est plongée dans l’obscurité.

Il ne fallut que quelques secondes pour que les enfants sortent leurs cellulaires et leurs lampes de poche. Un enfant plus âgé connecta rapidement une guirlande lumineuse de Noël à une pile. Un haut-parleur sur pile continua de diffuser la musique, et les enfants recommencèrent à chanter. Ils poursuivirent leur chant dans la semi-obscurité, jusqu’à ce qu’un des organisateurs fasse fonctionner le générateur quelques minutes plus tard. Le groupe participe à un programme pour enfants en Ukraine géré par le partenaire du MCC, le feu de Prométhée.

La vie est perturbée, mais elle continue.

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A group of children playing with toys in a shelter
Les enfants jouent à un événement animé par le partenaire du MCC, le feu de Prométhée dans un village près de Uzhhorod.

En décembre, j’ai eu l’honneur de rendre visite à certains partenaires locaux du MCC dans l’ouest de l’Ukraine afin de découvrir leur travail. Oui, la vie des gens a été bouleversée de bien des manières. Toutefois, ils trouvent toujours le moyen de s’adapter aux situations difficiles. Par miracle, ils continuent à vivre.

Les infrastructures endommagées dans tout le pays laissent les gens sans courant durant des heures chaque jour. C’était nécessaire de suspendre les programmes scolaires pendant des mois et de transformer les salles de classe en abris. Les familles se sont vues obligées de fuir en un instant, laissant tout derrière elles.

Et malgré tout, la vie continue.

Des douillettes faites main contre le froid de l’hiver

Le premier jour, nous accompagnâmes un partenaire du MCC, l’Association des églises des frères mennonites d’Ukraine (AMBCU), visiter un refuge qu’ils soutiennent régulièrement ; ils y distribuent des colis alimentaires ainsi qu’une partie des fournitures d’urgence que le MCC expédie en Ukraine. Je traversai un couloir gris à caractère industriel et une grande porte noire pour entrer dans la chambre d’Olga*. L’une des premières choses à attirer mon regard était les couleurs vives des douillettes du MCC sur son lit, dont les couleurs contrastaient fortement avec les couvertures et les murs gris.

Olga me raconta qu’elle et sa famille avaient fui leur maison de Kryvyi Rih, à proximité des lignes de front. « Durant la première semaine de la guerre, nous avons dormi au sous-sol. En hiver, il fait très froid, alors nous avons compris que nous ne pourrions pas rester là longtemps », raconta-t-elle. Puis un jour, ils ont reçu un préavis d’une heure pour évacuer la maison. Alors que les sirènes retentissaient, ils ont tout fourré dans leur voiture et ont entrepris un voyage de neuf jours à travers le pays à la recherche d’un lieu sûr.

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A woman holding two children
Olga et ses filles Taisya et Arina, dans leur chambre au refuge où elles résident près d’Uzhhorod.

Bien qu’Olga affirme qu’ils se sentent en sécurité dans l’abri où ils vivent actuellement, il peut faire froid, surtout lorsque le courant est coupé. Comme je pus le constater tout au long de la visite, des coupures d’électricité surviennent souvent, car le gouvernement en instaure dans tout le pays pour gérer le manque de courant dû aux infrastructures endommagées. Olga me raconte qu’ils se servent des douillettes du MCC avec leurs belles couleurs pour câliner les enfants et les garder au chaud.

En général, je ne vois les douillettes qu’au début de leur parcours à l’entrepôt, ici au Canada. Je regarde des bénévoles dévoués coudre les blocs ensemble, nouer les couches, puis les emballer dans des balles. C’était touchant pour moi de voir les douillettes à la fin du voyage, étendues sur le lit afin de tenir les enfants au chaud pendant une période difficile.

Ces douillettes fabriquées à la main étaient précieuses aux yeux d’Olga. « Dans mon enfance, ma grand-mère faisait de la courtepointe. Et quand j’ai vu qu’[elles] étaient faites main, cela m’a beaucoup touché. »

Malgré le froid et l’incertitude, la vie continue.

 

L’école se poursuit durant le conflit
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Children sitting a dark classroom
Des enfants dans la salle de classe de l’école gérée par la fondation caritative Blaho à Uzhhorod.

Le lendemain, nous nous rendîmes dans une petite école de deux pièces gérée par la fondation caritative Blaho, partenaire du MCC. C’était une journée froide et humide, sous un ciel gris, nous marchâmes dans le champ d’herbe autour de l’école, évitant les flaques d’eau au passage. Le courant avait été coupé, ce qui signifie que le chauffage l’était aussi. Je croyais qu’avec le temps et l’absence de chauffage, il y aurait moins d’enfants ce jour-là.

Toutefois, lorsque je franchis la porte, quelle ne fut pas ma surprise de voir la salle pleine d’élèves ! Emmitouflés dans leurs tuques et leurs manteaux d’hiver, ils regardaient le tableau à la seule lumière qui passait par les fenêtres. Néanmoins, ils étaient attentifs. Je ne pus m’empêcher de sourire en voyant les élèves répondre aux questions de l’enseignante et s’approcher du tableau pour montrer leur travail.

Cette école apporte un soutien à la scolarisation des enfants roms d’Uzhhorod en particulier, une ville située à l’extrême ouest de l’Ukraine. Les Roms sont un groupe ethnique qui vit dans tous les pays de l’Europe, mais qui fait l’objet de discriminations importantes. Ils ont souvent un niveau d’éducation inférieur, ce que la fondatrice Eleanora, elle-même rom, désire changer. L’école maternelle fournit des enseignants pour préparer les élèves à l’enseignement formel. « Cette instruction est très importante pour les enfants roms, car si une personne sait lire et écrire, si elle est instruite, elle est perçue différemment », me confia Eleanora. « L’aide humanitaire est nécessaire à 100 %. Mais ce n’est pas le principal. L’essentiel, c’est de les instruire. »

Au début de la guerre, l’école a été temporairement fermée et a servi d’abri aux familles roms qui fuyaient la violence et avaient besoin d’un endroit sûr où rester. En regardant les deux petites pièces de l’école, sans accès à l’eau courante, il est difficile d’imaginer que le bâtiment puisse servir de maison. Toutefois, Eleanora nous explique que c’était mieux que l’alternative. Les Roms étaient victimes de discrimination avant la guerre, mais selon elle, la situation a empiré après l’invasion. « Les Roms n’étaient pas acceptés, on ne leur donnait pas d’abris pour vivre. Ils dormaient à même le sol, dans la rue avec de jeunes enfants, c’était terrible », raconta-t-elle.

Comme le conflit se poursuivait sans qu’on puisse en entrevoir la fin, Eleanora savait qu’elle avait besoin d’un espace plus grand et mieux adapté. Finalement, elle a pu louer un ancien hôtel-restaurant et le transformer en un refuge plus grand qui peut accueillir environ 150 personnes à la fois, des Roms et d’autres Ukrainiens.

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A young girl in a shelter
Un enfant qui vit dans une grande pièce du refuge géré par la fondation caritative Blaho à Uzhhorod.

À la fin de notre journée ensemble, après avoir vu le refuge et les écoles, j’avais une question à poser à Eleanora. En tant que personne de l’extérieur, j’aurais pensé que la priorité aurait été la survie et non l’éducation. Je lui demandai donc pourquoi elle pensait qu’il était important de maintenir l’école en activité. Eleanora sembla presque surprise par cette question. Elle nous dit que les enfants et les familles de la communauté lui avaient demandé quand ils pourraient reprendre les classes. Et puisque la partie occidentale du pays était encore relativement sécuritaire, pourquoi ne pas rouvrir ? « J’ai compris que les missiles ne viendraient pas ici, ni les roquettes, ni les bombes. Et si les écoles publiques peuvent fonctionner, nous devons également fonctionner », déclara-t-elle.

Les élèves étaient donc là, à apprendre dans le noir. La violence, la fermeture de l’école et les coupures de courant ont perturbé leur vie. Mais la vie continue.

 

Un soutien régulier en période de déracinement

Le lendemain, lors de notre arrivée à un autre abri, l’électricité y était coupée également. C’était encore une journée fraîche. En m’approchant du bâtiment, je ne pus m’empêcher de remarquer une mosaïque aux couleurs vives sur le bâtiment, qui contrastait avec le ciel gris qui nous entourait. Autrefois, cet abri était un hôpital. Toutefois, aujourd’hui, les cordes à linge chargées sur le balcon et à l’arrière du bâtiment révèlent que de nombreuses personnes y résident. Je grimpai les escaliers jusqu’au deuxième étage ; la seule lumière s’infiltrait à travers les vitraux. Un groupe de résidents vint à notre rencontre, la plupart vêtus de manteaux et de tuques pour se protéger du froid de l’hiver.

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A group of people in a shelter
Des résidents d’un abri soutenu par AMBCU, partenaire du MCC, au deuxième étage d’un ancien hôpital à Mukachevo.

De nombreuses personnes me racontèrent comment elles avaient été déplacées à plusieurs reprises. Déjà en 2014, ils durent quitter leur maison lorsque l’armée russe envahit la péninsule de Crimée. Puis ils furent contraints de se déraciner à nouveau en février dernier en quête de sécurité. Puis, lorsque leur premier abri, une école, dût rouvrir ses portes pour les cours, on les relogea encore.

Leurs vies ont été bouleversées à maintes reprises, mais les colis alimentaires qu’ils reçoivent régulièrement de l’AMBCU, le partenaire local du MCC, sont un soutien constant pour eux. Je rencontrai une femme nommée Oksana, originaire de la région de Donetsk. Nous pénétrâmes dans la pièce qu’elle partage avec sa mère et une autre femme afin de découvrir un peu plus son histoire. Pendant que nous parlions, son chat noir et blanc brillant (apporté de chez elle) arpenta la pièce, curieux de faire connaissance avec ses visiteurs. Oksana me raconta qu’elle avait travaillé un peu l’été à la cueillette de myrtilles. Elle avait cherché un autre emploi, mais il n’y a pas beaucoup de postes disponibles en raison du nombre élevé de personnes arrivées dans la région. Les colis alimentaires qu’elle reçoit l’aident à joindre les deux bouts pendant qu’elle et sa mère attendent la fin de la guerre. « Sans cette aide, ce serait plus difficile. L’argent que nous recevons du gouvernement ne couvre qu’un minimum de choses et il n’y a pas de travail régulier. Il serait donc difficile de vivre correctement sans cette aide », déclara-t-elle.

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People in a shelter
Les résidents d’un abri à Mukachevo reçoivent des colis alimentaires du partenaire MCC AMBCU.

Pendant notre visite, le personnel et les bénévoles d’AMBCU portèrent les sacs de nourriture en haut de l’escalier, dans l’obscurité, avant de les distribuer aux personnes rassemblées. Lors de la distribution des colis, l’électricité revint soudainement. Les gens applaudirent et l’excitation fut palpable. Les gens s’empressèrent de mettre en marche les machines à laver ou de préparer à manger. La vie reprit là où elle s’était arrêtée.

 

La vie continue

Une fois nos visites terminées, le moment était venu de retraverser la frontière slovaque et de prendre le chemin du retour. L’attente dans la voiture au poste-frontière a été longue, très longue. Bien que les températures soient encore au-dessus de zéro, avec le moteur éteint, je commençai à avoir froid. Et, sans surprise, une fois arrivée à la frontière elle-même, le courant fut à nouveau coupé. Nous attendîmes probablement une demi-heure ou plus avant que le générateur ne démarre. Alors que nous nous tenions à l’extérieur de la voiture pendant que les gardes-frontières la fouillaient, je sautillais, cherchant à réchauffer mes orteils engourdis par le froid.

Je sais que ce petit voyage et ce bref moment de froid n’étaient qu’un tout petit aperçu de ce qu’est l’hiver pour les millions de personnes déplacées en Ukraine. Vivre sans un accès constant au chauffage et à l’électricité rend l’hiver long et difficile. Vivre dans l’incertitude et le danger liés au conflit rend les choses encore plus difficiles. Pourtant, je sais également que le peuple ukrainien va persévérer. Il continuera à s’adapter et à trouver de nouveaux moyens créatifs de s’en sortir. Même dans l’obscurité.

*Les noms et prénoms ne sont pas cités pour des raisons de sécurité