Le Dr. Bungishabaku Katho de la République Démocratique du Congo est l’une des voix émergentes qui se situent au croisement de la foi et du social aujourd’hui. Dans son nouvel ouvrage intitulé Reading Jeremiah in Africa: Biblical Essays in Sociopolitical Imagination, Dr. Katho raconte que la lecture de Jérémie a changé sa vie, le ramenant chez lui pour se confronter aux question de la guerre, de la violence, des conflits ethnique à la fois dans le contexte de l’Église et de la société. Chris Rice, directeur du bureau du MCC à l’ONU s’est entretenu avec le Dr. Katho en février.
Chris Rice : Vous avez été récemment détenu par l'armée congolaise. Et vous m'avez dit que dans votre pays, il est plus dangereux de travailler pour la paix que pour l'insécurité. Que voulez-vous dire ?
Katho Bungishabaku : Depuis 2019, un nouveau groupe dangereux de rebelles issus de mon ethnie a tué des centaines de soldats. Je me suis rendu compte qu’il fallait que je fasse quelque chose. En fait, ce soir, je suis allé voir un chef rebelle parce que des gens ont été tués récemment. J'ai dit au chef qu’il était responsable et je l'ai supplié d'arrêter. Je ne fais pas cela tout seul, je travaille avec le gouverneur et l'armée parce qu’il faut disposer de plus de pouvoir pour arrêter cela. Ils me respectent, mais tout le monde ne souhaite pas la fin du conflit car de nombreux officiers militaires sont accusés de recevoir beaucoup d'argent du gouvernement et de l'utiliser à leur profit, au lieu de l'utiliser pour lutter contre les rebelles. Nous avons aussi un proverbe qui dit : « Pas de milice, pas de travail ! » Pourquoi voudrait-on mettre fin à cette guerre ? Je me bats pour la paix en pensant que je suis de leur côté, mais je réalise ensuite que la plupart d'entre eux ne sont pas du mien !
Il est terrible de vivre dans ce contexte où les gens parlent de paix mais ne veulent pas vraiment la paix. Nous pouvons le lire dans Jérémie, à propos de ceux qui disent « Paix, paix là où il n'y a pas de paix ». Lorsque j'ai été arrêté par le gouvernement, Dieu m'a rappelé que Jérémie a été arrêté plusieurs fois. Le Dieu de Jérémie est toujours vivant. Il ne vous abandonnera pas.
En plus d'être un spécialiste de Jérémie, vous semblez avoir un lien personnel très fort avec lui. Comment l’étude de Jérémie a-t-elle façonné votre ministère en RDC ?
En 1996, j'ai lu Jérémie pour un cours d'Ancien Testament avec le professeur Chester Wood en Afrique du Sud. Cela m'a poussé à me demander : ça veut dire quoi, connaître Dieu, vraiment ? Je venais d'un milieu religieux où tout était spirituel. Mais Jérémie parle au roi et lui dit qu'aider ceux qui souffrent et ne pas verser le sang des innocents, c'est ça, connaître Dieu. Et Jérémie dit aux décideurs : « Mais ce n’est pas ce que vous faites. » À ce moment-là, j'ai donc choisi d’étudier Jérémie et l'usage et l'abus du pouvoir politique.
Après mes études de doctorat, j'ai trouvé un emploi en Afrique du Sud. Au moment de signer le contrat, Dieu m'a rappelé en disant : tu lis Jérémie, mais Jérémie n'est jamais parti de chez lui. Es-tu entrain de fuir ? C'est pourquoi j'ai quitté l'Afrique du Sud et suis revenu ici. À partir de là, j'ai été actif dans les églises, j'ai écrit, j'ai dirigé l'Université Shalom et j'y ai enseigné, et maintenant je lance le Centre Jérémie pour la foi et la société. Comment pouvons-nous appliquer le message de Jérémie, qui consiste à parler au pouvoir, aux personnes qui influencent la situation ? Je suis surpris que le petit magazine que nous publions soit lu par des gens au pouvoir à Kinshasa, des personnes du bureau du président et de l'armée. C'est ainsi que nous essayons de vivre et de pratiquer comment être Jérémie ici.
Nous parlons d'abus de pouvoir politique. Mais qu'en est-il du bon et juste usage du pouvoir politique ? Y a-t-il des choses que seuls les autorités politiques peuvent faire pour permettre à la société de s'épanouir ? Quelles leçons pouvons-nous tirer de Jérémie ?
Je pense que c'est peut-être la plus grande faiblesse de l'Église du Congo et de beaucoup d'autres endroits également. Nous pensons que les politiques sont responsables de la vie matérielle et l'Église de la vie spirituelle. Mais même si nous ne préparons les gens que pour le paradis, en fait, nous sommes responsables de l'ensemble de la situation. À l'université Shalom, j'enseigne un cours intitulé « Introduction à la théologie politique ». Les étudiants l'apprécient, ils ont soif d'apprendre comment interagir avec les situations politiques. Tout le monde sait que j'enseigne à partir de ma vie, de ce que je vis. Jérémie dit que le pays a été détruit de l'intérieur. C'est exactement ce qui se passe parce que nous n'avons pas réussi à nous combattre la corruption, à la façon dont l'argent est volé. On ne passe pas 24 heures sans en entendre parler. Vous voyez la lumière ici dans mon bureau ? Elle provient d'un générateur car l'électricité ne fonctionne pas. Elle a été installée en 1940 et personne ne l'a réparée. Alors qui s'occupe de la situation ?
L'église doit prendre ses responsabilités, mais nous ne pouvons pas tout faire nous-mêmes en tant qu'Église. Ce n'est pas à nous de réparer la lumière. Nous avons la responsabilité d'aider les autorités à faire de la politique correctement. C'est pourquoi nous préparons actuellement les gens aux élections qui auront lieu cette année.
Dans votre livre, vous dites que chaque nation a besoin de son propre Jérémie. A quoi cela ressemble-t-il ?
Au chapitre 37, Jérémie est en prison et le roi Sédécias le fait venir pour s’entretenir en privé. J’imagine que Jérémie était affaibli par son séjour en prison. Mais dans cette faiblesse, le roi voit quelque chose de puissant. Jérémie demande au roi, « Où sont tes prophètes ? » Cela veut dire que les prophètes se cachaient, ils s'étaient enfuis, la situation était devenue terrible. Mais Jérémie est là. Il ne veut pas s'enfuir. Il ne veut pas quitter sa nation. Il ne veut pas quitter son peuple. Nous le voyons se lamenter, nous le voyons pleurer. Et les gens ne font pas attention à cette voix « faible ». Mais aujourd’hui, il y a la voix des faux prophètes. Je pense à cela quand je regarde les États-Unis aujourd’hui. Y a-t-il des voix faibles venant de Dieu que les gens peuvent écouter ? Ou n'écoutons-nous que les puissants qui parlent qu’en leur nom ? Jérémie est fragile. Il peut être jeté en prison, emmené ici et là. Mais il est puissant lorsqu’il s’agit de nous rappeler à notre responsabilité.
Si vous prenez l'ensemble de la Bible, elle ne s’adresse pas à une Église à l’aise. Lorsque l'Église devient majoritaire et que tout va bien, ça nous détruit. Il vaut mieux se mettre en danger. Lutter pour mettre fin à la corruption nous mettra en conflit avec la classe politique et rappellera à l'Église qu’elle n’est pas faite pour être dans une zone de confort. Être confortable, c’est un danger pour la foi chrétienne. Nous sommes majoritaires au Congo, et pourtant le pays est détruit. Et je vois que cela se passe aussi aux États-Unis.
Votre livre parle aussi de rois comme Josias qui ont utilisé le pouvoir pour faire le bien. Avons-nous aussi besoin de « Josias » pour nous réaliser ?
Oui, chaque nation a besoin de son Josias. Mais malheureusement, nous avons très peu de Josias. Et même Josias a, lui aussi, besoin de l’aide de Dieu. Il nous faut toujours des prophètes et l'Église devrait toujours chercher à produire de vrais prophètes - ceux qui vont nous rappeler ce que Dieu dit à propos de la justice, de l'équité et des pauvres. Il peut s'agir d'une personne ou d'une institution. Tous les hommes/ femmes politiques et les présidents doivent savoir que le pouvoir est dangereux. Ils doivent savoir que si le pouvoir n'est pas guidé par une voix prophétique, il est corrompu.
En guise de conclusion, pourquoi est-il important pour nous de lire Jérémie aujourd’hui ?
C’est important parce que Jérémie nous rappelle que nous devons prendre nos responsabilités, nous les chrétiens dans notre nation, pour notre nation – nous, les chrétiens congolais, nous, les chrétiens américains, nous, les chrétiens chinois. Parce que nous sommes responsables de cette nation. Et plus nous nous rapprochons de la vérité, plus nous nous rapprochons de Dieu.