
Une photo de la couverture de Lire Jérémie en Afrique : Essais Bibliques Dans L'imagination Sociopolitique par Bungishabaku Katho
Cet article est adapté du nouvel ouvrage de cet auteur, Reading Jeremiah in Africa: Biblical Essays in Sociopolitical Imagination. Bungishabaku Katho est pasteur dans l’Église du Christ au Congo, professeur en Ancien Testament à l’Université Shalom de Bunia, République Démocratique du Congo. Dr. Katho est également fondateur et directeur du Centre Jérémie pour la foi et la société. Il a obtenu un doctorat en théologie (Ancien Testament) de l’université de Natal en Afrique du Sud.
Mon ventre ! mon ventre ! je me tords de douleur !
Les parois de mon cœur !
C’est le tumulte en moi,
Je ne puis me taire…
Désastre sur désastre !
Oui, tout le pays est dévasté.
- Jérémie 4/19,20 Nouvelle Version Standard Révisée (NRSV)
Jérémie aime son pays. Cela explique son chagrin et sa douleur pour son peuple bien-aimé et pour lui-même. Le prophète se demande combien de temps encore il pourra supporter le poids psychologique de devoir prêcher à la nation de Juda, paralysée, détruite de l'intérieur par l'idolâtrie rampante, la corruption et toutes sortes de maux sociaux et spirituels. Jérémie sait que Juda est comme un poisson insouciant sur le point d'être dévoré par un requin !
Le chagrin et le cri prophétiques de Jérémie font écho à notre situation en Afrique et dans de nombreux endroits du monde. Nos pasteurs et nos responsables d'église sont capables bien s'occuper de l'âme, mais il ne leur reste pas d’énergie pour s'affliger de la direction que prend la nation tout entière. Pourtant, cette situation est en train de changer et de nombreux responsables d'église en Afrique ont compris l'urgence d’aborder les questions politiques dans leurs ministères. Par exemple, Linda Ochola-Adolwa, le pasteur exécutif de l'église Mavuno à Nairobi, au Kenya, pose cette question rhétorique :
"Doit-on laisser la politique aux hommes et femmes politiques ? Est-ce que quelques individus devraient dicter la façon dont nous vivons dans notre ville ? Nous ne pouvons pas nous permettre d'être des observateurs passifs alors que tout s’effondre autour de nous. Nairobi n'est pas neutre ; vous influencerez ou vous serez influencés."
Cette prise de position forte devrait être la vision de l'Église africaine du vingt-et-unième siècle. Il n'est pas possible de séparer notre ministère chrétien des questions politiques et sociales pressantes dans nos nations, en restant passif alors que le continent brûle. Nous sommes appelés, comme nous le rappelle Jérémie, à entrer en dialogue avec ceux qui sont au pouvoir, avec courage et clarté, créativité et de constructivité. Dans le même temps, nous devons aider les croyants à refuser les manipulations des hommes politiques, dont la plupart ne travaillent que pour leurs propres intérêts, comme c'était le cas en Judée à l'époque de Jérémie. Jérémie montre que nous devons nous indigner profondément des problèmes de nos pays et nous faire entendre. C’est évidemment plus facile dans certains pays que dans d'autres.
Jérémie était un leader spirituel qui passait des heures à prier en privé en lutte avec le Seigneur ce qui le préparait particulièrement bien au ministère public. Il y apportait son chagrin pour son peuple, il dénonçait publiquement des problématiques nationales, il défiait l’opinion publique et confrontait les décideurs. Le type d'obéissance automatique à une autorité politique qui est courant dans certaines de nos églises n'avait tout simplement pas sa place dans son ministère.
La leçon de Jérémie montre que si le christianisme doit rester pertinent en Afrique, l'Église a deux rôles à jouer dans l'engagement politique. Premièrement, informer les chrétiens sur leurs droits civils, leur apprendre à résister à la corruption et les encourager à participer activement à la construction de la nation. Deuxièmement, elle doit remplir sa vocation prophétique en dénonçant les abus politiques à tous les niveaux. Si le christianisme néglige ces responsabilités, il périra en même temps que la société africaine.
Jérémie nous montre aussi que, finalement, Juda s’est détruit de l'intérieur. Je me rappelle d’une réunion des principaux responsables de l’Église protestante à laquelle j'ai assisté dans mon pays et qui a sombré dans le chaos à cause de la désunion et du dysfonctionnement. Comment l'Église peut-elle être le sel de la nation si notre conduite est la même ou pire que celle des politiques ? La vie sociale d'une communauté est importante pour Yahvé car, depuis le début, le plan de Dieu n'a jamais été de créer des individus dispersés mais de construire une société, une communauté de personnes qui reflètent ses caractéristiques de paix, de justice, de miséricorde, de droiture et d'amour.
Il en va de même pour le christianisme aujourd'hui. Le monde ne sera pas intéressé par notre Église et ne voudra pas connaitre Dieu s'il ne remarque pas une différence dans notre façon de vivre en tant que communauté chrétienne. En ce sens, la véritable évangélisation devrait commencer par la construction d'une communauté transformée.