

Prévenir le choléra en Haïti
Dans les communautés isolées d’Haïti où le choléra représente une menace mortelle, les latrines et les points de lavage des mains peuvent littéralement sauver des vies.
En 2016, lorsqu’une nouvelle épidémie de choléra a éclaté dans la communauté de montagne de Wopisa-Gabriyèl en Haïti, Precius Estilus était parmi les premiers à tomber malade. Tôt un matin, alors qu’il rassemblait ses outils pour travailler dans son jardin, il a ressenti une faiblesse soudaine et extrême.
Vers 11 heures du matin, il s’est mis à vomir. Un ami l’a encouragé à aller voir le médecin et ils ont entamé la longue descente vers le centre de traitement du choléra le plus proche.
Le seul moyen de sortir de Wopisa-Gabriyèl est à pied. La descente est raide et recouverte de pierres instables, il faut à un moment donné dévaler des rochers dans une eau s’écoulant au milieu d’une chute. Malgré les encouragements de son ami de se dépêcher, Estilus devait s’arrêter après quelques minutes pour se reposer et reprendre des forces.
Lorsqu’il est finalement arrivé dans la ville de Verrettes, au centre de traitement du choléra du partenaire du MCC Zanmi Lasante (la branche haïtienne des partenaires sans but lucratif en santé), il était 22 heures. Un autre patient du centre venait de mourir. En voyant son état, les médecins ont commencé immédiatement à lui donner une solution de réhydratation.
"Pendant que la perfusion s’égouttait, je me sentais de plus en plus proche de Dieu," dit-il. "Je savais que seul Dieu pouvait me redonner la vie."
Estilus avait 28 ans à l’époque et sa femme était enceinte de leur plus jeune enfant. Compte tenu de la rapidité avec laquelle les cas graves de choléra peuvent se détériorer, même les jeunes hommes forts comme lui peuvent mourir en quelques heures.
Estilus a eu de la chance. Affaibli, mais vivant, il a quitté le centre sept jours après et est retourné dans sa communauté avec une réserve de tablettes de purification d’eau donnée par le centre.
Peu de temps après le retour d’Estilus, le personnel du MCC s’est rendu sur place pour déterminer ce dont sa communauté avait le plus besoin après avoir été frappée par les vents, les pluies et l’inondation causés par l’ouragan Matthew en octobre 2016.
"Nous croyions que nous ne réaliserions probablement qu’un projet de sécurité alimentaire, puisque que c’était la priorité dans la plupart des régions que nous avions visitées," a déclaré Paul Shetler Fast, alors représentant du MCC pour Haïti et maintenant coordonnateur mondial de la santé du MCC.
"Mais les habitants nous ont bien fait comprendre que ce n’était pas le cas, construire des latrines et stopper le choléra étaient leur priorité, les jardins pouvaient être réalisés ensuite. Je me souviens d’un homme plus âgé qui a dit quelque chose comme 'À quoi servirait la nourriture si je suis trop malade pour manger, à quoi servirait un jardin si je suis mort?'”
Le choléra est une infection bactérienne qui agit rapidement et se transmet d’une personne à une autre par le contact avec des matières fécales infectées, le plus souvent lorsque les sources d’eau sont contaminées par des déchets humains contenant la bactérie du choléra. Le choléra se propage dans des conditions d’insalubrité, où les gens n’ont pas les moyens d’acheter de l’eau de javel ou de construire des toilettes adéquates.
"Je savais que seul Dieu pouvait me redonner la vie."
- Precius Estilus
L’épidémie de choléra qui sévit en Haïti a commencé en 2010 après le séisme qui avait dévasté la capitale, Port-au-Prince, au début de cette année-là. Les déchets infectés qui n’avaient pas été bien éliminés par une délégation de Casques bleus des Nations Unies avaient été déversés dans la rivière Artibonite, en Haïti. En quelques jours, une épidémie de choléra particulièrement virulente avait fait son chemin dans le courant du fleuve jusqu’aux régions environnantes du département de l’Artibonite (sorte de province ou d’État) et, éventuellement, partout dans le pays. À ce jour, presque 10 000 personnes sont mortes et près d’un million sont tombées malades.
Cilana Louissine, 45 ans, était en train de parler à un agent de la santé communautaire en 2016 lorsqu’elle s’est soudainement sentie extrêmement faible, presque incapable de marcher. Elle aussi a entrepris la difficile descente de Wopisa-Gabriyèl. Peu de temps après son arrivée dans la salle bondée de cas de choléra à l’hôpital Albert Schweitzer de la ville de Deschappelles, elle a perdu connaissance.
"Ma famille était là avec moi," se souvient-elle. "Mon mari pleurait, tout le monde pensait que j’étais morte."
Après avoir passé neuf jours à l’hôpital, elle est rentrée chez elle pour faire face à une longue convalescence. Même si elle n’était plus malade, elle avait été affaiblie par la maladie et était incapable de travailler. Sa famille a souffert financièrement longtemps après son rétablissement.
Le traitement du choléra est simple et abordable, mais pour des gens comme Estilus et Louissine vivant dans les communautés isolées à des heures des soins médicaux, ce traitement est souvent trop éloigné. La prévention est primordiale.
Le MCC a travaillé avec la communauté pour élaborer un projet devant aboutir à la construction de 600 latrines dans la plus large région de Wopisa-Gabriyèl.
Sans latrines, les habitants n’avaient pas d’autre choix que de déféquer à l’extérieur, où le sol pouvait être contaminé. Pendant l’ouragan, de fortes pluies ont lessivé le sol et tout entrainé de la montagne jusqu’aux rivières et ruisseaux que les habitants utilisent pour boire et se laver. Les cas de choléra ont augmenté alors qu’ils avaient connu une baisse après 2010.
L’idée de la prévention est simple : si les déchets potentiellement infectés sont contenus et tenus à l’écart des eaux de crue et des mouches, le risque de transmission du choléra peut être considérablement réduit.
Le MCC fournit des matériaux de construction de base, notamment une base en ciment, un toit en tôle, des tuyaux et des clous en PVC, et la communauté fournit de la main-d’œuvre et des matériaux locaux pour les murs.
Outre les latrines, le MCC fournit des tablettes de traitement de l’eau, des seaux de filtration de l’eau, ainsi que des formations sur l’utilisation et l’entretien des latrines, des techniques de lavage des fruits et des légumes et des techniques de lavage efficace des mains.
Au cours de l’année précédant le début de ce projet à Wopisa-Gabriyèl et dans la communauté de Kabay, des travailleurs en santé ont signalé 291 décès dus au choléra dans les deux communautés. Depuis plus de deux ans que ce projet a été mis en œuvre, il n’y a eu aucun décès.
En fait, le projet a connu un tel succès que, après les inondations soudaines causées par l’ouragan Irma dans le département de l’Artibonite en septembre 2017, une version à plus grande échelle a été mise en œuvre partout dans la grande région où se trouve Wopisa-Gabriyèl. Ce projet, qui vise les écoles et d’autres points de transmission potentiels et soutient les autorités locales responsables de l’eau et des volontaires de la protection civile, a connu le même succès.
Quand Estilus pense à la façon dont sa vie a changé depuis 2016, les latrines y ont joué un rôle majeur. "Avant, nous devions nous soulager à l’extérieur," dit-il. "Le choléra nous avait presque détruits, mais maintenant il a disparu. Maintenant nous avons des latrines."
Louissine est particulièrement reconnaissante pour la formation qu’elle a reçue concernant sa nouvelle latrine. Elle espère que ses enfants, en grandissant et en ayant eux-mêmes des enfants, vont continuer à appliquer les pratiques d’hygiène qu’ils ont apprises dans le cadre des formations du MCC. C’est cette connaissance qui aidera Wopisa-Gabriyèl à rester un lieu sécuritaire et sans choléra à l’avenir.
"Nous avons cru que c’était la fin pour nous" dit-elle, "mais maintenant, avec l’aide du MCC, nous progressons."