Sauver la vie des bébés, rétablir les relations
Des communautés locales et des personnes déplacées unissent leurs efforts pour réduire la mortalité infantile.
Photo du haut : Zalissa Sawadogo et son enfant, Raheem Abdoul participent au projet de santé maternelle et infantile soutenu par le MCC et le partenaire interreligieux local, Action citoyenne et communautaire pour la Résilience et le Développement (ACCORD) à Niniongo, au Burkina Faso. Photo MCC/Paul Shetler Fast
La terre est craquelée et poussiéreuse sous le soleil brûlant de la saison sèche. Il ne reste que peu de feuilles sur les arbres solitaires qui parsèment le paysage aride. Même en temps normal, les éleveurs de cette région du Burkina Faso sont obligés de construire des zones ombragées pour que leur bétail puisse survivre à la chaleur. Ils doivent planifier et stocker soigneusement la nourriture pour tenir pendant les longs mois de cette période de disette.
Aujourd’hui, les pressions exercées par les conflits et les migrations rendent la situation encore plus dramatique.
« Ces années ont été difficiles pour nos communautés », déclare Naaba Tissé, un chef traditionnel de Boussouma, au Burkina Faso. Tissé contemple les fermes desséchées et les maisons en briques de terre éparpillées sur le plateau ensoleillé en contrebas de sa maison. « La violence venue du nord a fait fuir de nombreuses personnes, et nous les avons accueillies dans nos maisons et nos communautés. »
« Dans de nombreux villages, explique-t-il, les personnes déplacées sont désormais plus nombreuses que les habitants. »
« Nous avons éprouvé des difficultés par le passé, mais aujourd’hui, la nourriture, l’eau, les écoles, les soins de santé et les terres, tout est réparti entre un plus grand nombre de personnes. Il est de plus en plus difficile pour les familles de s’en sortir et encore plus difficile de maintenir la paix. »
Une guerre civile au Mali voisin et l’activité de groupes armés ont débordé dans le nord et l’est du Burkina Faso, déplaçant plus d’un million de personnes à l’intérieur du Burkina Faso.
En 2020, le nombre officiel de personnes déplacées à l’intérieur du Burkina Faso a presque doublé, ce qui a conduit les Nations unies à désigner cette situation comme l’une des crises de déplacement dont la croissance est la plus rapide au monde.
Les communes de Kaya et de Boussouma (semblables à des comtés) accueillent un nombre de personnes déplacées parmi le plus élevé du pays, proportionnellement à leur population.
C’est ici que le MCC a donné son appui au partenaire interconfessionnel local, Action citoyenne et communautaire pour la Résilience et le Développement (ACCORD) en vue d’améliorer la santé maternelle et infantile.
« Nos enfants tombent rarement malades et souffrent moins de malnutrition que par le passé, et les décès d’enfants sont très rares maintenant. »
« Les saisons maigres sont devenues plus longues et plus difficiles pour nous », explique Fatoumata Ouedraogo, une mère participante au programme, tandis que son fils Youba dort d’un air satisfait sur ses genoux. « Avant le déplacement, nous avions assez pour passer les saisons maigres. Mais tout était si cher ici, et nous avions beaucoup de mal à survivre. De nombreux enfants n’avaient que de la farine de maïs et des feuilles séchées pendant les mois de vache maigre. Beaucoup d’enfants tombaient malades, et certains mouraient. »
ACCORD fut fondé en 2010 par trois camarades de classe de l’université de Kaya qui souhaitaient trouver des solutions aux problèmes de la communauté susceptibles de rassembler des personnes de différentes religions et ethnies. Leurs premiers projets soutenus par la MCC portaient sur l’éducation à la paix. Cependant, avec l’accélération du conflit et la détérioration de la santé et de la nutrition dans la région, ils estimèrent que ces besoins urgents ne pouvaient rester sans réponse.
Le programme communautaire de santé maternelle et infantile vit le jour en 2018, et adapta un modèle de groupes de soutien aux femmes que le MCC avait commencé à utiliser au Kenya, en Tanzanie et en Somalie.
Le projet connut une croissance rapide. Désormais, il couvre 37 villages et touche 17 003 participants au Burkina Faso, principalement par le biais de réunions bimensuelles auprès de 330 groupes de soutien pour les mères.
« De nombreux efforts qui tentent d’aider les gens finissent par les déchirer en créant du ressentiment entre les communautés d’accueil et les personnes déplacées », note Aminate Ouedraogo, agent de santé communautaire et responsable bénévole du programme soutenu par la MCC. « Ce projet est différent. Il rassemble les gens pour sauver des vies. Nos enfants tombent rarement malades et souffrent moins de la malnutrition que par le passé, et le décès d’enfant est devenu très rare. »
Depuis le début du projet en 2018, alors même que la situation sécuritaire et économique se détériorait, la mortalité infantile dans les communautés participantes a plongé de 83 %. Cela se traduit par une diminution du nombre annuel de décès d’enfants, soit 26 décès en moins à travers ces communautés.
Cette baisse de la mortalité infantile a été si significative que le ministère de la Santé a récompensé les cliniques participantes pour les améliorations durables en mortalité infantile réalisées, parmi les meilleures dans le pays ces dernières années.
Ce n’est pas en construisant de nouvelles cliniques ou de nouveaux services médicaux coûteux qu’ils ont réalisé ces améliorations. Au contraire, le projet s’est focalisé sur le soutien aux mères, aux familles et aux communautés afin qu’elles maximisent leurs ressources pour améliorer la nutrition et la santé des mères et des enfants.
« Son effet a été si manifeste et puissant qu’il a rassemblé toute la communauté », déclare Gregoui Sawadogo, un prêtre catholique qui a participé au programme, « les gens du pays et les déplacés, les catholiques et les protestants, les musulmans et les chrétiens, les agents de santé et les guérisseurs traditionnels. Tout le monde. Quand nous avons constaté que travailler ensemble permettait de sauver des vies d’enfants, comment ne pas unir nos efforts ? »
Le prêtre catholique Gregoui Sawadogo. Photo MCC/Paul Shetler Fast
Le projet utilise un modèle appelé « groupes de soins ».
Ces groupes composés d’environ 10 voisines se réunissent deux fois par mois pour se soutenir, apprendre les unes des autres et recevoir une formation. Les cours portent sur les moyens pratiques de se maintenir en bonne santé, elles et leurs enfants, et sur comment savoir quand il faut avoir recours aux soins médicaux.
Des mères choisies par chaque groupe animent les sessions et reçoivent une formation plus poussée de la part d’agents de santé communautaires locaux et de sages-femmes qui participent bénévolement au programme.
Les mères apprennent à préparer une bouillie enrichie à un prix abordable avec du millet, des cacahuètes et des haricots locaux qui aide leurs enfants à survivre à la saison sèche lorsque les aliments frais nutritifs sont rares. La bouillie fait appel à des ingrédients disponibles localement, que les familles peuvent cultiver et stocker pour la saison maigre.
On associe également les pères au projet afin de s’assurer qu’ils donnent la priorité à la culture et au stockage des ingrédients pour la bouillie et d’autres aliments à haute valeur nutritive.
Les groupes de soins exhortent les mères à se fier uniquement à l’allaitement maternel pour les enfants de moins de six mois. Aujourd’hui, le nombre de mères qui donnent uniquement du lait maternel au lieu de suivre les pratiques traditionnelles consistant à compléter avec de l’eau, un danger dans une région où l’eau n’est souvent pas propre, a augmenté de 70 %.
Les groupes de soins encouragent également l’utilisation de sources d’eau améliorées et de meilleures pratiques en matière d’hygiène et de salubrité. On invite les mères à donner la priorité à l’eau propre pour boire, même si elles doivent marcher plus loin pour l’obtenir, tandis qu’elles peuvent utiliser l’eau à proximité pour laver la vaisselle et les mains. Fait remarquable, cette pratique a permis de réduire de 84 % les diarrhées chez les enfants participant au programme.
Les groupes de soins ont également établi des liens avec les agents de santé communautaires et les cliniques du gouvernement afin d’instaurer la confiance et de donner accès aux services de santé communautaires existants pour les services d’accouchement et de soins prénatals et postnatals.
Les volontaires du projet travaillent de concert avec les chefs religieux, les agents de santé communautaires et les dirigeants de la communauté pour promouvoir de nouveaux comportements en matière de santé. Il s’agit notamment d’encourager les hommes de la communauté à soutenir les mères à effectuer des changements et de veiller à ce que les maigres ressources des ménages soient réservées aux besoins médicaux et nutritionnels des mères et des enfants.
« Lorsque nous avons vu que travailler ensemble permettait de sauver des vies d’enfants, comment ne pouvions-nous pas unir nos forces ? »
Et, dans une région où les conflits et la faim sont toujours des menaces, les groupes rassemblent les gens.
« Il n’y avait pas de division entre nous dans ce travail pour aider nos enfants », dit Abdoul Nassir Sawadogo, alors qu’elle donne à manger à sa fille, Zounogo, la bouillie enrichie qu’elle a appris à préparer dans le programme. « Il n’y a pas de séparation ethnique ou religieuse ni de différence entre les personnes déplacées et les personnes installées. On traite la vie de chaque enfant sur un pied d’égalité, et chaque mère trouve sa place dans notre groupe. Nous sommes bénis de pouvoir nous soutenir les uns les autres dans ce projet. »
Les partenaires du MCC en Somalie, au Kenya, au Burundi et au Nigeria ont aussi recours à ce modèle de santé maternelle et infantile communautaire. Et en 2022 l’église anabaptiste Meserete Kristos en Éthiopie commencera à intégrer ce modèle dans ses projets de santé maternelle et infantile soutenus par le MCC.
« Le chemin de la paix commence par l’inclusion de tout le monde dans le travail commun visant à améliorer une communauté », déclare le chef Tissé. « Ce projet ne résout pas l’insécurité dans le nord. Il ne le peut pas. Mais ce travail permet de rassembler les gens dans le respect.
« Nous mangeons tous dans la même assiette, et aujourd’hui nous sommes beaucoup plus nombreux à nous servir. Quand il n’y a plus de nourriture, nous avons tous faim ensemble. Donc si nous voulons la paix, nous devons travailler ensemble et partager notre table. »
Paul Shetler Fast, coordinateur de la santé pour le travail du MCC dans le monde, s’est rendu au Burkina Faso pour aider à évaluer le programme de santé maternelle et infantile d’ACCORD en mai et juin 2021. Les chiffres cités dans cette histoire étaient exacts au moment de la rédaction, en automne 2021.