
Une source de guérison
Un pasteur frère mennonite manifeste l’amour en zone de guerre.
ZAPORIZHZHIA, Ukraine — Alors que la guerre dans l’est de l’Ukraine s'enlise et entre dans sa sixième année, la vie continue presque normalement dans cette ville située à environ 240 kilomètres du front.
Les gens ici préfèrent ne pas penser à la guerre, a expliqué Sergey Panasovich. Pour eux, c’est comme si les bombardements et les balles des tireurs embusqués entre les forces gouvernementales et les séparatistes pro-russes dans les provinces séparatistes du Donetsk et de Louhansk se déroulaient à l’étranger.
Panasovich rejette cette indifférence. L’évangile le contraint à agir.
Deux fois par semaine, le pasteur des Frères mennonites se rend à Avdiivka, une ville en première ligne, afin de coordonner les programmes de consolidation de la paix et d’aide matérielle soutenus par le Comité central mennonite (MCC).
"La guerre est une crise grave, mais elle crée également des occasions," a-t-il avancé le 18 juin, lors d’une conversation avec les visiteurs du MCC sur le lieu de rencontre de sa congrégation, l’Église mennonite Nouvel Espoir.
Nouvel espoir appartient à l’Association des églises de frères mennonites d’Ukraine, un des partenaires du MCC.
"S’il n’y avait pas eu la guerre, nous serions plus centrés sur nous-mêmes," a reconnu Panasovich. "Le plan de Dieu est incompréhensible pour nous."
Un nouveau monde chrétien
Il a vu les voies mystérieuses de Dieu s’ouvrir au cours des dix dernières années, à commencer par le ministère qui a transformé la vie de John Wiens, un missionnaire des frères mennonites canadiens.
Selon Panasovich, Wiens a apporté une nouvelle compréhension de la foi chrétienne, et cette révélation a permis la renaissance d’une présence mennonite dans l’est de l’Ukraine.
Il y a dix ans, lors d’une mission d’implantation d’églises, Wiens et son épouse, Evelyn, sont arrivés en Ukraine et ont fondé l'Église Nouvel espoir.
Pour Panasovich, ils étaient un type différent de chrétiens.
"John Wiens nous a montré comment accomplir de bonnes œuvres, non pas comme une propagande, mais parce que vous aimez les autres," a déclaré Panasovich. "Cela nous a changés."
C’était comme découvrir un « nouveau monde chrétien », a-t-il dit, apprendre que le fait de partager l’évangile veut dire servir entièrement une personne, physiquement et spirituellement.
Mais la mission du couple a été interrompue lorsque John Wiens est décédé le 14 janvier 2014 en Colombie-Britannique, à l’âge de 69 ans, six semaines à peine après avoir reçu un diagnostic de cancer.
Son exemple de partage de l’évangile de manière pratique reste le phare qui guide Nouvel espoir.
Les Wiens ont incarné une théologie que Panasovich a adoptée.
"Ce que j’ai vu chez les mennonites m’a profondément touché," a-t-il reconnu. "J’ai été attiré par l’approche holistique qui intègre le social, l’économie et le spirituel."
Il devait bientôt vivre ce type de foi à plus grande échelle.
Des hommes forts ont pleuré
Trois mois après la mort de Wiens, la guerre a éclaté à la frontière est de l’Ukraine. Les séparatistes pro-russes ont pris le contrôle de certaines parties de deux provinces et ont déclaré la République populaire de Donetsk et la République populaire de Lougansk.
Cinq ans plus tard, la guerre a fait 13 000 morts et chassé 2,4 millions de personnes de leurs maisons, dont 1,4 million de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDI), en Ukraine.
En 2014, la congrégation de Nouvel espoir a élaboré un plan d’évacuation si la guerre éclatait à Zaporizhzhia.
Le conflit est resté distant, mais les membres de Nouvel espoir ont décidé de se rendre au front.
Ils ont lancé des ministères de secours, notamment en ouvrant leurs portes aux personnes déplacées. Les femmes âgées ont donné des poulets à ceux qui étaient dans le besoin. Les membres de l’église ont livré de la nourriture dans la zone de guerre. Là-bas, ils ont vu des hommes forts pleurer, a déclaré Panasovich, « parce qu’il y avait des gens qui ne les avaient pas oubliés. »
L’Association des églises des frères mennonites d’Ukraine s’est jointe aux efforts, tout comme la Mission des frères mennonites, l’agence nord-américaine désormais connue sous le nom de Multiply. Alors que l’organisation de la mission a décidé de mettre l’accent sur l’implantation d’une église dans la zone de conflit, Nouvel espoir a continué à travailler plus étroitement avec le MCC.
Dévastés par la guerre
L’association des Frères mennonites a concentré ses efforts de secours sur Avdiivka, à environ six kilomètres de la ville principale de Donetsk et à moins de deux kilomètres du front qui sépare le territoire sous contrôle ukrainien de la région contrôlée par les séparatistes et leurs alliés russes.
Le déclenchement de la guerre a poussé les habitants d’Avdiivka à s’enfuir. La population est passée de 40 000 à 5 000 habitants, a noté Panasovich. Beaucoup de ceux qui sont restés ont dû vivre dans des sous-sols pour se protéger des bombardements. Lorsque la situation s’est stabilisée, la population est remontée à 25 000 habitants, mais bien des personnes sont retournées pour trouver leurs maisons détruites.
Avec la hausse du chômage qui a réduit les familles à la pauvreté, les conserves de viande fournies par le MCC ont soulagé la pression. Les retraités qui reçoivent 85 $ par mois doivent souvent aider les jeunes membres de la famille qui ne trouvent pas de travail. Une fois les services publics et d’autres dépenses payés, il ne reste pas grand-chose de l’allocation pour la nourriture.
Outre la satisfaction des besoins physiques, Nouvel espoir travaille à la consolidation de la paix, en pratiquant notamment des activités avec les enfants et les adolescents. Les traumatismes de guerre touchent les gens de tout âge. Panasovich a déclaré que pendant les cours sur la résolution des conflits, les enseignants et élèves ont senti les murs trembler à cause des bombardements.
En vue de travailler avec des écoliers, Nouvel espoir collabore avec l’organisation partenaire du MCC, Feu de Prométhée. Les projets comprennent l’organisation de voyages pour donner aux enfants un peu de répit loin de la zone de conflit.
Le MCC soutient deux familles qui travaillent avec des enfants à Avdiivka.
Bâtir des relations à Avdiivka « nous a donné l’occasion de parler de l’influence des mennonites," a mentionné Panasovich.
Une implantation dans l’est
L’histoire de cette influence dans l’est de l’Ukraine remonte à 1885, lorsque la colonie mennonite de Memrik s’est installée à environ 32 kilomètres de Donetsk. La population de 1 300 personnes initialement installée en provenance de la colonie de Molotschna est passée à 3 500 au moment de la Première Guerre mondiale. La révolution de 1918 a provoqué des souffrances causées par les groupes d’anarchistes de Nestor Makhno qui assassinaient et pillaient sans vergogne. La nourriture fournie par le MCC nouvellement organisé, a sauvé de nombreuses personnes de la famine en 1922.
Les deux décennies qui ont suivi ont vu encore plus de tragédies. Trente familles ont pu émigrer au Canada dans les années 1920. Les Soviétiques se sont emparés des maisons vides après que beaucoup des gens aient été envoyés en exil en Sibérie dans les années 1930, puis une dernière vague d’exilés s’est réfugiée dans l’est lorsque l’armée allemande a envahi l’Union soviétique en 1941. Seule une poignée de mennonites est restée à Memrik et a fui lorsque l’armée allemande a battu en retraite en 1943.
Plus de 70 ans plus tard, certains bâtiments mennonites qui ont résisté pendant plus d’un siècle ont été détruits pendant la guerre actuelle, a déclaré Panasovich.
Panasovich voit dans le partage de l’évangile de paix à Zaporizhzhia et à Avdiivka un nouveau chapitre de l’histoire mennonite de l’Ukraine.
"Nous disons aux gens que les mennonites ne sont pas indifférents au lieu d’où sont venus leurs ancêtres," a-t-il précisé. "Je ne sais pas ce que Dieu nous réserve pour l’avenir, mais nous devons être une source de guérison."